Lire en musique / Une collaboration Cypres – Actes Sud

Pour approcher la mort, la littérature et la musique sont depuis toujours des alliées. Myriam Watthee-Delmotte a imaginé, à partir du catalogue du label Cypres, une playlist de dix titres en édition numérique qui accompagnent les dix chapitres de son livre : « Dépasser la mort – L’agir de la littérature ».

Dépasser la mort - l'agir de la littérature

Résumé

C’est grâce aux mots que l’on cesse d’être seul face à la mort. Mais d’abord, ils manquent : quand la mort s’abat, elle abasourdit, elle frappe de mutité. C’est alors que les écrivains peuvent venir en aide et répondre au besoin de faire sens pour que quelque chose soit sauvé du gouffre. Face à la tombe, la littérature donne aux endeuillés une voix et le sentiment d’une communauté. Elle est ainsi au coeur de ce qui constitue le propre de l’homme, seul être vivant à honorer ses morts.

Auteur (e) (s) (es)

Myriam Watthée-Delmotte

A propos de (s) auteur (e) (s) (es)

Myriam Watthee-Delmotte, de l’Académie royale de Belgique, est directrice de recherches du Fonds de la recherche scientifique et professeur à l’Université catholique de Louvain. Spécialisée dans le domaine français de la fin du XIXe siècle à nos jours, elle analyse comment la littérature agit sur le lecteur et assume des fonctions sociétales que ne couvrent pas nécessairement les institutions politiques et les médias.

Critique littéraire du Monde des Livres 

Peu après la mort du petit Bébert qu’il n’a pu soigner, Bardamu, le héros du Voyage au bout de la nuit de Céline, achète sur les quais un exemplaire des Essais. Il tombe par hasard sur une page où Montaigne s’emploie à consoler son épouse après la perte d’un fils, qu’il résume en ces termes : « T’en fais pas va, ma chère femme ! […] Tout s’arrange dans la vie… Et puis d’ailleurs, j’ai justement retrouvé hier […] une certaine lettre que Plutarque envoyait lui aussi à sa femme dans des circonstances tout à fait pareilles aux nôtres… […] C’est une belle lettre ! […] Tu m’en diras des nouvelles pour ce qui est de guérir ton chagrin !… »

Faut-il voir dans ces sages encouragements de simples exercices de style ? « On se trompe peut-être toujours quand il s’agit de juger le cœur des autres », admet Bardamu. « Peut-être qu’ils avaient vraiment du chagrin ? Du chagrin de l’époque ? » Il est vrai que les formules d’un Malherbe dans sa Consolation à Du Périer (1607) – « Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses… » – ne nous parlent plus guère. Mais, au-delà de cette longue tradition rhétorique de la consolation, L’Adieu d’Apollinaire nous touche encore : « Odeur du temps brin de bruyère/Et souviens-toi que je t’attends. »

Sombre mutité

Il y a bien là un lieu commun, ainsi que le souligne Myriam Watthee-Delmotte dans Dépasser la mort, bel essai entrepris juste après le suicide d’un ami : autrement dit, un moyen de rendre partageable, et à ce titre vivable, une même douleur. La littérature y combat cette sombre mutité à laquelle nous confine le deuil en nous réinscrivant, par une parole qui cesse dès lors d’être pure rhétorique, dans la communauté des endeuillés.

Toutefois, comme l’amour, le deuil est une émotion réclamant un certain tact. Aussi Myriam Watthee-Delmotte choisit-elle de ne pas appuyer et explore sous forme de courts chapitres les grandes ­figures du discours de la perte, depuis le choc que provoque le spectacle d’un ­cadavre ou les paroles funèbres prononcées au pied d’une tombe jusqu’à la mort choisie pour soi-même, en passant par toutes les formes de deuil collectif et de commémoration.

Clic sur des bulles

Certaines sont populaires mais tout aussi poignantes, telle la chanson de Barbara sur le rendez-vous manqué avec son père mourant (Nantes). D’autres se révèlent plus perturbantes, comme ces Paroles gelées où l’artiste Françoise Chambefort, s’inspirant d’un épisode du Quart Livre de Rabelais, fait entendre à l’internaute qui clique sur des bulles de couleur des bruits d’explosion ou des cris de panique, recueillis lors de guerres et d’attentats, dont les lieux et les dates s’inscrivent à l’écran. La littérature participe d’un rituel par lequel les disparus nous délivrent une dernière leçon. De sa mère, le poète François Emmanuel a ainsi appris qu’il n’avait « pas pris le temps de contempler le temps » « J’étais comme tant d’autres dans le trébuchement de vivre » (Portement de ma mère, Stock, 2001).

Si l’analyse ne s’appesantit pas – on peut le regretter, tant certains des textes choisis suscitent l’envie de prolonger l’expérience –, les œuvres forment peu à peu un réseau. Les plus intimes d’entre elles nous donnent le sentiment d’être indiscrets. Henri Michaux avait aussitôt interrompu la diffusion de Nous deux ­encore, sur la mort accidentelle, par le feu, de sa femme, Marie-Louise, en 1948, qu’il comptait pourtant publier sous un nom d’emprunt ; plus tard, Paul Celan, à qui Michaux en avait autorisé la traduction en allemand, renonça à son tour, au dernier moment, à publier ces vers ­déchirants : « Lou, le destin d’être ensemble à jamais/Dans quoi tu avais tellement foi/Eh bien ? »

Jean-Louis Jeannelle (Spécialiste des études littéraires et collaborateur du « Monde des livres  

Date de parution

ACTES SUD PARU LE : 09/01/2019